vendredi 3 août 2012

Premier bonbon

(Attention, ce premier chapitre est aussi le plus long)
 



Purr toqua contre la paroi de la petite fiole transparente. Les doigts accrochés au rebord de l’étagère, il colla le nez contre le verre et plissa ses yeux dorés.
Mais il ne se passait désespérément rien, dans la jolie bouteille ronde. Seulement une épaisse fumée blanche qui ondoyait doucement. C’était à peine si une petite paillette étincelait de temps à autre au milieu de la vapeur dense.
Purr gémit doucement, terriblement frustré. Il observait cette bouteille depuis deux bonnes heures sans obtenir la moindre réaction. Dans la pénombre de la bibliothèque, elle diffusait une lumière pâle qui éclairait les autres rayonnages de l’étagère et attirait le jeune loup-garou comme une lampe attirait un moustique.
Si seulement il avait le droit d’ouvrir le bouchon de liège… Il aurait sans doute pu arriver à quelque chose.
Il se rassit en grognant, et souffla sur sa frange pour chasser les mèches chocolatées qui lui tombaient sur les yeux. Peut-être que sa tignasse ébouriffée avait vraiment besoin d’un coup de ciseau. Il se carapatait à l’autre bout de la maison chaque fois que quelqu’un abordait le sujet devant lui.
Les poils étaient un sujet sensible, chez lui. Il avait quitté l’adolescence lupine depuis déjà plusieurs années mais son corps pourtant musclé restait désespérément imberbe. Même ses cheveux poussaient trop lentement. C’était bien un comble, pour un lycanthrope.
Il se redressa sur les genoux et chouina piteusement devant la bouteille, qui se terrait dans son silence brumeux.
Puis une idée malsaine lui traversa l’esprit. Il regarda à gauche, puis à droite, et se frotta les yeux. Ce n’était pas le petit croissant de lune qui perçait à travers les carreaux qui allait vendre la mèche.
S’il enlevait un tout petit instant le bouchon de liège, juste une seconde, le temps d’y jeter un œil…
Un bout de langue rose dépassant du coin de ses lèvres, il se redressa sans faire de bruit et s’empara du flacon.
Il était incroyablement léger, et Purr eut peur de le laisser échapper par accident. Il s’agenouilla et fixa longuement la bouteille, avant de se décider à tirer sur le gros bouchon de liège.
– Qu’est ce que tu fais encore là ?
Purr sursauta en poussant un cri de surprise et la fiole lui échappa, tombant sur le plancher dans un bruit mat avant de rouler sous l’étagère. Le jeune loup la regarda disparaître dans l’ombre avec un frisson d’horreur.
Au moins, elle n’était pas brisée.
– Où est la bouteille ? demanda Laè en approchant de lui.
Ses pas étaient étouffés par les épaisses chaussettes de laine qu’il portait jusqu’au dessus des genoux. Les sourcils froncés, il avança vers l’étagère en rajustant les manches de sa longue et chaude tunique bleue.
Purr se liquéfia sur place. Qu’est ce que Laè faisait ici ? Il était toujours là pour le contrarier !
– J-j’sais pas ! se défendit-il aussitôt. J’viens d’arriver, j’la cherchais !
Laè plissa ses yeux sombres et fixa le lycan d’un air soupçonneux. Au grand désespoir de Purr, il connaissait trop bien sa propension à causer des catastrophes. Laè ramena ses longs cheveux noir derrière ses épaules et croisa les bras pour le toiser.
– C’est une bouteille, elle ne peut pas disparaître comme ça. Qu’est ce que t’as encore fait, sac à puce ?
– Absolument rien ! protesta le lycan avec une moue boudeuse.
Comme pour le contredire, quelque chose sous l’étagère se mit à scintiller avec force. Purr blêmit aussitôt, et Laè fronça les sourcils.
– Qu’est ce que…
– C’est ta faute ! l’accusa aussitôt Purr en le pointant d’un index accusateur. Tu m’as fait peur et je l’ai lâchée ! J’y suis pour rien !

Laè fut partagé entre stupeur et accablement. Cet imbécile de Purr ne ratait donc jamais une occasion de rester tranquille ? Il s’agenouilla dans l’instant pour tâtonner sous l’étagère, le cœur battant d’inquiétude.
– Mais quel abruto ! On avait pas le droit d’y toucher, Mordigann a été assez clair ! Tu veux qu’il nous étripe ?
Purr croisa les bras pour bouder, hermétique à ses réprimandes. Comme toujours, il ne voyait pas le mal qu’il avait fait et minimisait les conséquences de ses bêtises à répétition. Excédé, Laè ne tenta même pas de le convaincre de sa culpabilité et préféra concentrer ses efforts sur le flacon arrondi.
Il fut soulagé quand ses doigts se refermèrent sur le goulot, et sortit la bouteille avec délicatesse. À son grand soulagement, elle était intacte. Laè ferma les yeux et poussa un profond soupir.
Puis se tourna vers Purr pour le foudroyer du regard.
– T’as de la chance qu’elle ne soit pas cassée ! Si Mordigann l’apprend… !
Purr gonfla les joues, vexé. Il avait l’air frustré de ne pas avoir pu satisfaire sa curiosité. Il regarda d’ailleurs Laè avec un brin de tristesse, quand il se redressa avec la fiole dans les mains.
Secouée par sa chute, la brume s’agitait follement derrière les parois de verre, et des paillettes lumineuses étincelaient dans tous les sens.
– Regarde ça… soupira Laè. Il est tout affolé.
Il effleura du bout des doigts le verre frais de la bouteille. Il le caressa tout en douceur, comme un petit animal, et commença à chanter à voix basse une courte berceuse dans sa langue natale. La brume sembla s’apaiser en entendant la douce voix de Laè, calmée par sa chanson aux accents nordiques, qui évoquait la mer et le froid.
Même Purr cessa de bouder pour l’écouter.

Il aimait bien entendre Laè chanter. Il n’aurait jamais avoué que sa voix lui plaisait, mais il aimait bien cette langue étrange, ces paroles presque magiques qui apaisaient sans même qu’on en comprenne le sens. Il se redressa tout doucement pour s’approcher du Selkie. Les longs cheveux noirs de Laè étaient encore un peu humides, comme s’il sortait du bain, et gouttaient sur son épaisse tunique bleue.
Purr le fixa d’un œil intrigué. Ce n’était pourtant pas l’heure où il se baignait, d’ordinaire. Il voulut s’approcher de lui, curieux, mais sentit soudain son pieds plonger dans une petite flaque froide, glisser sur le plancher, et le monde entier se mit à tourner.
Il perdit l’équilibre et se vautra lamentablement sur Laè. Ce dernier, poussant un cri, vit avec horreur la fiole lui échapper des mains, tomber avec eux, comme au ralenti.
Ils tombèrent brusquement l’un sur l’autre, dans un fracas de tonnerre.
Sonné, Purr se redressa en grondant, et frotta sa courte tignasse brune pour vérifier si son crâne était intact. Hormis son fessier douloureux, il était apparemment indemne, excepté quelques bleus sur ses jambes qui avaient amorties la lourde chute de Laè. Mais ce dernier avait l’air de s’en moquer complètement, pour l’instant. Les yeux écarquillés, il observait le plancher d’un air anéanti, et Purr mit un moment à comprendre pourquoi, avant de voir à son tour le désastre.
Il déglutit.
Les débris de verre translucide jonchaient le sol, enveloppé par les dernières volutes de brume. Un gros tas de poussière brillante recouvrait le plancher et les morceaux de la bouteille brisée.
– Mordigann va nous tuer… gémit-il faiblement.

Mordigann saisit Elendil par les hanches et le posa brusquement sur le bord de son bureau, chassant papiers plumes, encriers qui pouvaient les gêner. Il arracha sans ménagement les premiers boutons de la chemise de l’elfe et tira sur le tissu pour libérer l’une de ses épaules, blanche et veloutée, qu’il vint aussitôt mordre de ses crocs fiévreux.
Elendil soupira de volupté et referma ses cuisses tout autour des hanches de son patron, le pressant contre lui sans la moindre pudeur. Il enfouit ses longs doigts délicats dans la courte chevelure de Mordigann, griffant sa nuque, ébouriffant les mèches brunes sous les affres du désir.
Par les deux grandes fenêtres du bureau, un rayon de soleil inondait la pièce d’une belle lumière dorée. La poussière dansait devant les fenêtres, les carreaux des vitres forgées ressemblaient à des morceaux d’ambre veloutée. Elendil, que le soleil sublimait, irradiait comme un astre dans cette jaune lumière automnale.
Mordigann se retint de laisser un suçon sur la peau si douce du jeune elfe, se contenta de l’écorcher du bout de ses canines. Elendil en gloussa malicieusement, avant d’hoqueter et crisper les ongles dans son cuir chevelu, comme pour dissuader son patron de mordre trop fort dans le téton rose qu’il était en train de malmener.
Mordigann le toisa par en dessous, moqueur.
– Je ne vais pas te croquer…
– J’ai un doute, souffla Elendil en haussant ses élégants sourcils blonds.
Il relâcha la nuque de son patron pour empoigner à pleine main l’entrejambe de ce dernier, le massant avec une adresse redoutable, lui arrachant même un petit grognement frustré.
– Je crois même que tu as très envie de me dévorer…
Elendil faufila ses doigts agiles sous la boucle du pantalon, plongea dans la chaleur du tissu pour libérer la hampe tendue de Mordigann. Il la cajola dès lors sans lâcher son patron du regard, ses grands yeux verts brillants autant de malice que de désir alors qu’il sentait la vigueur de Mordigann augmenter de seconde en seconde. Le membre était brulant, chaud, les veines palpitaient doucement sous la pulpe de ses doigts. Elendil se lécha les babines et du bout de son pouce, taquina le sommet qui commençait à s’empourprer, à laisser perler quelques gouttes humides.
Mordigann gronda et le repoussa brusquement sur le bureau. Il ouvrit d’un coup sec le pantalon d’Elendil, si fort que le bouton sauta à travers la pièce. Elendil éclata de rire alors que son patron tirait sèchement sur le vêtement pour le faire glisser le long de ses jambes, s’emparait de ses genoux pour les écarter fermement, et se logeait aux creux de ses cuisses d’un coup de bassin impatient.
Elendil sentit le membre puissant se frayer de force un chemin dans la chaleur de son corps, l’envahir, pulser en lui alors qu’il se logeait tout entier dans le fourreau de ses chairs. Il ne se retint pas de gémir, la voix suave et fiévreuse. Il empoigna à pleine main l’arrière train ferme de son patron, comme pour l’inciter à s’enfouir profondément en lui.
Mordigann ne se fit pas prier, caressant la peau si douce dans le pli derrière son genou, avant de lui écarter un peu plus les cuisses pour commencer ses vigoureux va-et-vient.
Suffoqué, Elendil passa un bras autour de la nuque de son patron. L’autre vint griffer ses reins et tenter d’agripper désespérément son dos. La voix tentatrice de l’elfe glissa des mots évocateurs aux creux de l’oreille de Mordigann, quand il ne gémissait pas avec délice à chacun de ses assauts. Mordigann ne tarda pas à faire branler et grincer le bureau au rythme de ses puissants coups de rein, s’enfonçant encore et encore dans la douce chaleur des cuisses de l’elfe.

Purr, agenouillé sur le plancher, se rongeait les ongles jusqu’au sang et chouinant tout haut. Cette fois c’était sûr, Mordigann allait le peler à vif, l’écarteler de ses propres mains et laisser pourrir son cadavre démembré cloué sur la porte d’entrée. Et quand sa chair aurait moisi et noirci autour de ses os, Mordigann la dévorerait lui-même, avec une serviette en flanelle et des couverts en argent, suçant jusqu’à la moelle la viande faisandée du lycan.
– Arrête de couiner, pesta Laè en écartant quelques livres de l’étagère. Tu lui fais peur !
– Mais Mordigann va nous tuer ! On a cassé la fiole !
Purr repartit dans sa litanie de geignement, et Laè leva les yeux au ciel avec agacement. Il n’avait pas besoin de connaitre les films idiots que Purr se faisait dans sa tête. Il aurait cent fois préféré qu’il se taise pour pouvoir chercher en paix.
– Allez… chuchota-t-il d’une voix très douce, la même qu’il prenait lorsqu’il se mettait à chanter. Sors de ta cachette… On ne voulait pas te faire peur. On ne te fera pas de mal…
Mais les rayonnages de l’étagère restaient désespérément vides. Les couvertures poussiéreuses alignées sur le bois verni constituaient autant de coin et de recoin où une mouche aurait pu se faufiler. L’étagère couvrait tout le mur et grimpait jusqu’au plafond, bien plus haute que Laè et Purr. C’était inutile de tout fouiller, à moins d’envoyer bouler tous les livres pour dénuder le vieux meuble. Mais ça n’aurait fait qu’effrayer la créature qu’il cherchait, et Laè préférait tenter de l’amadouer avant d’en venir à de telles extrémités.
– S’il te plait… soupira-t-il faiblement, commençant lui-même à se désespérer. Ce gros idiot ne voulait pas te faire de mal… Il était juste curieux de te voir.
Et si la créature avait déjà filé très loin lorsque la fiole s’était brisée ? Avait déguerpi dans l’ombre de la pièce pendant que le lycan et lui se redressaient après leur chute ? Laè se demandait s’il n’était pas en train de supplier dans le vide une étagère totalement déserte. Et pourtant, cette poussière brillante, semée sur les veinures du bois…
La lumière crue de la lune ne valait pas celle d’une chandelle, mais elle faisait luire comme une dune de paillette le petit tas de poussière qui jonchait le sol et les débris de la bouteille de verre. Laè comptait là-dessus pour retrouver la trace de la créature envolée. Ça brillait comme de la poussière de diamant, c’était doux comme de la farine, sentait bon comme des fruits sucrés. Il en retrouvait des petits grains sur certaines couvertures, comme la traine de cristal d’un oiseau mystérieux.
Il était forcément là.
– On le retrouvera jamais, sanglota Purr d’une voix chevrotante. Mordigann va nous tuer.
Laè inspira profondément, ferma les yeux, fronça les sourcils. Il fallait qu’il garde son calme.
– Est-ce que tu vas te taire ? dit-t-il en se retournant soudain. C’est sûr qu’on ne le retrouvera jamais, si tu continues à pleurer comme ça ! Et si tu lui avais pas fait peur, en secouant son bocal dans tous les sens, il ne se serait pas enfuit comme ça !
Purr cessa aussitôt de pleurer pour le fixer de ses grands yeux humides. Il voulut ouvrir la bouche pour dire quelque chose mais cela ne fit qu’augmenter la colère de Laè, qui serra les poings sur ses hanches.
– Tu crois que ça va changer quelque chose de pleurer comme un gros bébé ? Tu as fais une bourde, assume là et aide moi à réparer ce que t’as fait ! Grandis un peu !
Il en avait par-dessus la tête de cet idiot de loup et de ses bêtises à répétition. Ils étaient tous les deux adultes, pourtant. Quand est-ce que ce nigaud le comprendrait enfin ?
– Mais… Laè… plaida le lycan d’une voix balbutiante.
– Et ne me coupe pas la parole, grosse andouille !
Il en devenait vulgaire. Pire, il avait presque envie de le frapper. À cause de cet abruti de lycan, il allait lui aussi se faire passer un savon par Mordigann, pour ne pas l’avoir surveillé et laissé cet incident arriver. Il sentait la colère le submerger, lui monter au nez, faisant battre son cœur à tout rompre dans sa poitrine.
– Tu n’es vraiment… !
– Laè ! le coupa Purr d’une voix plus forte. Regarde… !
Il désigna du doigt quelque chose derrière eux. Laè se figea et retourna lentement, pour rester les bras ballants. Ses yeux s’ouvrirent en grand, tout comme sa mâchoire, un peu comme l’avait fait Purr un instant plutôt en tentant d’attirer son attention.
Une petite chose lumineuse flottait devant l’étagère, semant derrière elle une trainée de poudre de cristal. Elle avait de grandes ailes translucides, qui scintillaient d’un reflet irisé, dans de jolies nuances de blanc, de bleu et de violet.
– Il était encore là… chuchota Laè pour lui-même.
C’était la première fois qu’il voyait une fée pour de vrai. Elle – ou plutôt il – était aussi petite qu’il l’imaginait, à peine aussi grande que sa main, toute frêle et délicate. L’aura lumineuse qui émanait de sa silhouette empêchait qu’on la distingue, et Laè ne put se retenir de tendre la main, comme pour la toucher.
Effrayée, la fée recula aussitôt, fit mine de retourner se cacher derrière deux gros volumes à la reliure abimée.
– Attend ! dit aussitôt Laè en reculant la main. Je ne voulais pas te faire peur…
Purr s’avança tout doucement de l’étagère, à quatre pattes, curieux comme un jeune chiot. Il dressa le museau vers la forme lumineuse qui les observait à la dérobée, comme méfiante.
– On veut juste faire ta connaissance… plaida-t-il avec une petite moue.
Sa bouille de louveteau attristé sembla jouer en sa faveur. Tout doucement, à pas prudents, la fée daigna sortir de sa cachette. Elle voleta jusqu’à eux et s’approcha timidement du nez du loup-garou. Ce dernier se mit à rire mais ne fit pas un seul geste. Sous le regard médusé – et un brin jaloux – de Laè, la fée finit par s’avancer jusqu’à se percher sur son crâne, laissant dans l’enchevêtrement de cheveux châtains une pluie de poussière lumineuse.
Laè s’autorisa enfin à sourire, et pousser un profond soupir pour chasser le poids dans sa poitrine.
Il se sentait infiniment soulagé d’avoir retrouvé la créature échappée du bocal. Mordigann avait dépensé une fortune pour l’obtenir et il n’aurait pas manqué de le leur faire payer au centuple si par leur faute, la fée avait disparu.
Cette dernière, comme gonflée d’assurance, se lança dans l’exploration du grand corps de Purr et se mit à voleter autour de lui dans un bruissement d’aile délicat. Le lycan, lui, ne s’arrêtait pas de rire et manqua d’éternuer quand la poussière qui le recouvrait peu à peu vint lui chatouiller le nez.
– Il est tout petit ! s’extasia-t-il en le poussant du bout des doigts alors que la fée tentait d’escalader son épaule. Et tout fragile ! J’ai peur de l’abimer…
Laè songea qu’ils n’en seraient pas là si cet idiot de lycan avait eu la même appréhension envers la fiole de verre qui contenait la fée. Il s’abstint cependant de tout commentaire, et s’approcha doucement pour ne pas effrayer la petite créature.
– Je me demande ce que Mordigann compte faire de lui. Il est trop petit pour travailler ici… même un carré de sucre doit peser trop lourd pour qu’il le soulève.
La fée se figea aussitôt, comme si elle les avait entendu, et releva vers eux sa toute petite tête. Il avait deux grands yeux sombres, sans iris ni pupilles, deux amandes noires et étonnement grandes sur cette petite silhouette. Il semblait vexé par les allusions des deux grandes créatures sur sa petite taille. Il s’envola précipitamment et croisa les bras en se plantant devant eux.
Purr et Laè échangèrent un regard, détournant un instant leur attention de la fée.
– Ca serait vraiment pervers, faire des trucs avec lui, fit remarquer le lycan en haussant les sourcils.
Laè haussa les épaules, la tête tournée vers son camarade.
– Il doit avoir une autre idée derrière la tête… Il ne l’aurait pas acheté sans raison…
Il y eut un petit bruit qui les fit sursauter, une sorte de « pouf » ouaté et carillonnant tout à la fois. Ils tournèrent la tête en même temps vers la fée, mais ne virent plus qu’un nuage de paillettes qui tombaient dans un bruit cristallin.
Et, au milieu, une fée grandeur nature qui clignait des yeux, des cils de velours battant sur ses beaux yeux azurs.
Il avait une chevelure incroyable, dans différents tons d’indigo, donc les ondulations délicates et souples étaient coiffées avec simplicité mais raffinement sur le haut de sa tête gracile. De longues mèches entortillées, dont les pointes étaient presque roses, retombaient sur son front et autour son visage de jolie poupée. Il avait une peau très pâle, blanche comme de la neige, que cachaient à peine ses vêtements de soie vaporeuse.
Purr et Laè réalisèrent que leurs mâchoires étaient grandes ouvertes. Ils mirent une seconde à se rappeler comment faire pour les refermer.
Le lycan rougissait déjà, étrangement en émoi. La jeune fée avait des allures androgynes qui ne devaient pas être pour lui déplaire. Il émanait d’elle une innocence touchante et à la fois diablement sensuelle, agenouillée à demi-nue et recouverte de poussière brillante. C’était pourtant bien un garçon.
Elle pencha sa tête délicate sur le côté, pour les fixer avec perplexité.
Laè fut le premier à reprendre le fil de ses pensées. Il se secoua vigoureusement et déglutit pour se forcer à penser à autre chose qu’à ses courbes… féeriques. Il comprenait mieux maintenant l’investissement de Mordigann. Il ignorait que les fées des neiges pouvaient se grandir à loisir.
– Je… je m’appelle Laè, dit-il en s’accroupissant pour se mettre à la hauteur de la jeune créature. Et cet espèce d’idiot qui sent le chien, c’est Purr. Tu as un nom, toi ?
La fée cligna des yeux et les fixa longuement, l’air ingénu. Elle semblait le comprendre, mais incapable de répondre.
Le jeune homme était couvert de bijoux en diamants, colliers, bracelets, ornements de mains et de cheveux. Mais à y regarder plus près, Laè réalisa qu’il s’agissait de glace sculptée, qui ajoutait à son corps une beauté surnaturelle. Les fées n’étaient décidemment pas des créatures ordinaires.
Laè se sentit soudain très gauche et empoté. Il devait être aussi attirant qu’une peau de phoque desséchée, à côté de cette sublime et envoûtante apparition pailletée.
Il se racla la gorge.
– Tu es à la maison Fancy Candies. Notre patron, Mordigann, t’as racheté à un trafiquant. Tu es en sécurité, ici. Nous sommes tous dans le même cas que toi. Je suis un Selkie et Purr est…
Il n’eut pas le temps de terminer. Poussé pas un instinct subit, de gratitude, d’affection ou d’il ne savait trop quoi, la jeune fée se jeta sur lui et se pendit fermement à son cou, blottissant le nez contre sa gorge.
Laè vira à l’écarlate. La fée était incroyablement légère et sa chevelure sentait très bon, un parfum frais de fleur d’hiver, légèrement sucré. Mais sa peau était chaude, et étonnamment douce.
Purr s’agenouilla et gonfla les joues, sans cacher sa jalousie. Lui aussi aurait sans doute bien aimé avoir un câlin de la fée. Cette dernière frotta le bout du nez contre le cou de Laè, émettant un tout petit bruit qui ressemblait étrangement à un ronronnement, accroché à Laè comme un koala.
Au moins, elle ne semblait plus avoir peur d’eux.
– Qu’est-ce qu’on va faire de lui, maintenant ? demanda Purr en se grattant la gorge. Tu crois qu’il voudra bien retourner dans un bocal ?
Laè déglutit, et vint timidement tapoter le dos de la jeune fée qui refusait toujours de le lâcher.
– J’en doute.
 
Mordigann relâcha la nuque d’Elendil, s’appuya sur le bureau pour donner d’amples coups de bassin qui le firent gronder de plaisir. Le corps de l’elfe était un temple dédié à la luxure, un fourreau délicieux, un écrin chaud et doux comme il n’en avait jamais connu. C’était un délice d’enfoncer sa hampe dans le creux de ses reins. D’aller et venir entre les muscles tendres de ses cuisses, de s’enfoncer encore et encore dans l’anneau étroit de son intimité.
Elendil gémissait de plaisir contre son oreille. Il ne cessait de se cambrer, encaissait ses mouvements brutaux avec une volupté déroutante. La frange de ses longs cheveux blonds était collée à ses tempes par des perles de sueur. Sa haute queue de cheval tombait jusque sur le bureau où les longues mèches cendrées s’éparpillaient comme des vagues de sable clair.
Elendil lui mordit la lèvre avant de lui réclamer un baiser farouche. Sa langue venait chercher la sienne avec autant d’audace que de passion. Mordigann gronda de plaisir, les reins brûlants, le sang battant dans ses veines. Il se perdait dans la débauche de luxure que déployait pour lui le jeune elfe.
Il aurait dû travailler, aujourd’hui. Il avait des tas d’affaires à régler, de comptes à vérifier, de rendez-vous à prendre… mais Elendil était arrivé et en à peine quelques secondes, il s’était retrouvé entre ses cuisses, en train de le prendre sauvagement à même son bureau.
Ce n’était pas un elfe, c’était un démon. Il en était persuadé.
Un démon à la sexualité débordante et à la sensualité à fleur de peau. Leur baiser rompu, Elendil l’observa avec un sourire de loup, ses beaux yeux verts embrumés de désir, le souffle court et gémissant. Il agrippa Mordigann par la nuque pour mordre le lobe de son oreille et lui murmurer des paroles qui frôlaient l’indécence. Un instant, Mordigann fut tenté de le faire taire en l’embrassant de nouveau, mais il préféra pilonner son corps largement offert pour transformer ces mots tendancieux en gémissements torrides.
-Oooh oui… ! feula Elendil en plantant les ongles dans la chair de sa nuque.
C’était mieux comme ça.
Son bureau supportait tant bien que mal leur fougue conjuguée, de même que les hanches d’Elendil dont l’endurance érotique n’était plus à prouver. Son membre s’élevait pourtant entre eux deux, cruellement délaissé, humide de désir et trahissant l’état d’abandon dans lequel se trouvait son elfe débauché.
 Mordigann referma sa large main autour de lui et entama un étroit va et vient. Son rythme faisait écho à celui de ses coups reins et ne tarda pas à faire basculer en arrière la jolie tête blonde d’Elendil.
Ce dernier échappa sa prise sur le dos de son patron et manqua de tomber en arrière. Il se raccrocha de toutes ses forces au rebord du bureau qui était autant secoué qu’eux par cette étreinte sauvage.
Son pauvre vieux bureau, qu’Elendil avait si souvent malmené, recouvert de son corps plus ou moins vêtu, griffé de ses ongles blancs, caressé de son souffle rauque. Quand il ne l’avait pas abrité sous lui de longues heures, et offert quelques bosses au crâne délicat de l’elfe quand ce dernier se redressait trop vite.
Le vieux meuble avait tellement assisté à leur dépravation que s’il avait pu parler, son témoignage aurait pu faire rougir une succube. Mais Elendil lui épargna dans un sursaut de clémence de se retrouver une nouvelle fois souillé par leur ébats. Il se libéra plutôt entre les doigts serrés de Mordigann.
La tête en arrière, le corps tendu, il échappa un pur gémissement d’extase alors qu’un spasme de plaisir le traversait. Mordigann gronda, le sentant se resserrer autour de lui, sensation si étroite et brûlante qu’il pensa jouir à son tour. Mais il en fallait plus pour que le brasier dans son bas ventre le consume. Il continua de bouger dans cet antre chaud et accueillant, entre les cuisses nues d’Elendil qui le serraient plus fort encore, sous le regard bleu-vert que l’orgasme avait rendu plus envoûtant que jamais.
Mordigann s’enfonça profondément aux creux de ses reins. Quand le plaisir le saisit à son tour, il s’empara de la nuque de l’elfe pour étouffer un grondement suave contre les lèvres roses, l’inondant de sa semence après de deniers et vigoureux coups de hanche.
Son souffle erratique se mêla à celui d’Elendil, qui lui souriait avec malice et satisfaction, éreinté par cette fougueuse chevauchée.
– Mordigann… lui murmura Elendil.
Sa voix était irrésistible, chaude comme un rayon de soleil et sucrée comme du miel.
Mordigann se contenta de l’embrasser encore, s’enivrant de la saveur de ses lèvres comme il venait de s’enivrer de son corps. Elendil le lui rendit avec le double de passion et il le sentir enfouir de nouveau ses longs doigts dans ses cheveux, l’étreignant une dernière fois avant qu’ils ne se séparent.
Puis, avec un sourire rayonnant comme le soleil, il tendit la paume vers lui.
– Mon argent ?
Mordigann, suffoqué, sentit sa mâchoire se décrocher. Il toisa d’un air abasourdi le jeune elfe auréolé d’innocence. Il n’avait même pas encore quitté le fourreau de ses reins, encore brûlant et humide de leur passion.
– Je suis ton patron ! s’étrangla-t-il.
– Ça ne te dispense pas de payer, rétorqua Elendil avec candeur. C’est toi qui m’as coincé sur le bureau…
Mordigann fronça les sourcils et planta ses yeux noirs dans les prunelles angéliques. La sale petite vipère. Il aurait dû se méfier, en le voyant entrer en roulant des hanches sous ses yeux.
– Et c’est toi qui a tout fait pour que je t’y coince, maugréa-t-il.
Il plongea toutefois la main dans une poche pour en extirper son portefeuille.
Elendil, radieux, fit mine d’onduler son bassin pour faire bouger encore une fois la hampe logée entre ses cuisses. Mais cela n’amoindrit pas la soudaine mauvaise humeur de Mordigann.
Même si quelque part, l’audace du jeune elfe l’amusait. De même que ses stratagèmes toujours plus vicieux pour extorquer de l’argent à tout son entourage. L’absence totale de scrupule d’Elendil était tout à fait distrayante, quand elle concernait quelqu’un d’autre, ou ne lui tombait pas dessus alors qu’ils venaient à peine de s’envoyer en l’air.
– Tu me devras quelque chose d’autre, pesta-t-il en lui tendant un billet. Quelque chose de gratuit, et sans entourloupe.
Elendil s’empara promptement de la monnaie et la fit disparaître avec une adresse qui trahissait l’habitude. Puis il ronronna comme un gros chat satisfait. Comme ragaillardi par la couleur de l’argent, il referma l’étreinte de ses bras et de ses cuisses autour de son patron contrarié, peut-être pour adoucir son humeur bourrue. Mordigann finit par se laisser consoler à force de promesses de caresses torrides et de rencontres nocturnes sous ses draps. Il put dès lors savourer avec plus de plaisir la chaleur du corps de l’elfe contre le sien.
Ce n’était pas tellement la manœuvre qui l’avait contrarié, ni d’avoir eu à payer. Il se fichait bien de ce genre de détail. Non, il était juste vexé d’être tombé dans le panneau.
Encore une fois.
– Un jour, souffla-t-il chaudement dans le creux de l’oreille pointue d’Elendil, je vais te ligoter, te bâillonner, te baiser jusqu’à ce que tu n’en puisses plus, et puis te dévorer vivant.
Elendil éclata de rire et se pendit à son cou, approchant ses lèvres des siennes pour les mordiller avec malice.
– Tu n’aimes que la chair fraîche… et la mienne ne l’est plus depuis longtemps.
– Pas faux, maugréa Mordigann avant de l’embrasser férocement.
Il aurait volontiers allongé Elendil sur son bureau, pour lui écarter un peu plus les cuisses et le posséder de nouveau. Mais un bruit soudain dans le couloir leur fit tous deux dresser la tête. Par prudence et presque à contrecœur, Mordigann se résolut à reporter à plus tard cette alléchante perspective, et se retira du corps de l’elfe. Ils se rhabillaient tous deux quand on frappa à la porte.
Mordigann fronça les sourcils, tentant de remettre un peu d’ordre dans les papiers qu’il avait lui-même envoyé voler.
– Tu attendais quelqu’un ? demanda Elendil en raccrochant une boucle d’oreille.
Elle était sûrement tombée dans le feu de l’action.
Assis sur le coin du bureau, sa longue chevelure en bataille et les vêtements à moitié défaits, l’elfe agissait pourtant avec un naturel déconcertant, parfaitement digne et maître de lui dans sa tenue débraillée.
– Non, répondit Mordigann en se laissant retomber sur sa chaise. Entrez !
Lentement, très lentement, la poignée se tourna, et la tête ébouriffée d’un Purr aux joues écarlates passa par l’embrasure.
– Patron… ? commença-t-il d’une voix timide.
Il se mordait la lèvre de sa canine pointue, mimique bien connue de tous les pensionnaires, qui ne pouvait signifier que deux choses : soit qu’il avait fait une bêtise, soit qu’il avait commis une monstrueuse, gigantesque, titanesque bourde.
Mordigann se sentit soudain un brin inquiet, échangeant un regard surpris avec Elendil.
– Il y a un problème, Purr ? demanda-t-il en se redressant dans son fauteuil.
– Euh… eh bien…
Le lycan balbutia, hésita, se gratta la tête, et finit par pousser un peu plus la porte pour ne pas mettre trop longtemps au supplice la patience de son patron.
Sur le seuil se tenait un Laè légèrement embarrassé, qui se dandinait d’un pied sur l’autre. Un étrange jeune garçon aux cheveux violet était fermement agrippé à son cou, et fixa la petite assemblée de ses grands yeux azur, plein de curiosité.