dimanche 5 février 2017

Dernier bonbon

À l’instant où son regard se posa sur le hamac au fond du jardin, Inari fronça le nez.
– Oh mon dieu. C’est écœurant.
– Je ne te le fais pas dire, soupira Driss dans son dos. Mais ça ne va pas m’empêcher d’aller faire la sieste au soleil. Tu viens ?
Inari fit la grimace, mais suivit quand même son ami vers l’une des pelouses dégagées autour de la maison. Tout en évitant soigneusement de jeter un autre regard en direction de Nox et Flocon, qui roucoulaient comme deux grosses tourterelles à l’ombre d’un palmier.
Mordigann, qui n’avait rien perdu de la scène, se contenta de lever les yeux au ciel.
Les autres n’avaient pas rejeté Driss depuis qu’ils avaient appris ce qu’il était. Le supposé efrit avait toujours été si excentrique que finalement, la révélation de sa véritable nature ne les avait pas plus surpris que cela. En revanche, ils acceptaient beaucoup moins la présence de Nox dans la maison. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’il avait signé le contrat et pourtant, il traînait toujours dans les parages, jamais très loin de Flocon.
Cela commençait à devenir problématique. Les activités de la maison avaient repris depuis que le problème du croque-mitaine était réglé, seulement, certains clients avaient eu vent de la rumeur, et lui avaient manifesté leur crainte à l’idée de le savoir encore entre les murs.
Même s’ils étaient tout aussi nombreux à être revenus au galop pour essayer de le rencontrer.
De fait, la jalousie des pensionnaires commençait à devenir gênante. Et Mordigann devait bien l’avouer : lui aussi, il n’en pouvait plus de les voir minauder à longueur de temps.
Allongé contre le flanc de Nox, qui l’enlaçait d’un bras sûr, Flocon lui donnait du bout des doigts des grains de raisins juteux. Nox les gobait avec gourmandise, quand l’un de ses tentacules ne l’attrapait pas pour lui, tandis qu’un autre fourrageait distraitement sous le pagne de Flocon.
Mordigann prit une grande inspiration. Il retroussa les manches de sa chemise et ajusta son veston avant de franchir la pelouse dans leur direction.
Flocon fut le premier à le voir arriver, et lui jeta un regard aussi indifférent que possible, bien que teinté d’un soupçon de méfiance.
Comment les autres avaient-ils pu craindre, ne serait-ce qu’un instant, pour la vie de la jeune fée ? Elendil avait eu peur au point de vouloir contrecarrer ses projets, en avertissant Nox de ses projets pour lui.
Mais même face à un croque-mitaine, Flocon ne courrait pas le moindre danger. C’était une évidence.
Mordigann se planta devant eux, les mains sur les hanches. Il n’obtint de son frère qu’un regard ennuyé, auquel il répondit par une inflexion du sourcil.
– Maintenant que j’ai rempli ma part du contrat, tu pourrais partir. Flocon est à toi
D’abord surpris, Nox étira bien vite un sourire carnassier. Il se contenta de passer un bras derrière sa tête. Flocon était blotti tout contre lui dans le hamac qui se balançait doucement.
– Partir ? Non, je suis trop bien ici. D’ailleurs…
Un tentacule s’agita dans l’ombre du hamac, pour tendre à Mordigann un dossier noir. Ce dernier saisit le document avec une moue dégoûtée, prenant bien garde à ne pas toucher l’organe turgescent au passage.
– Ne fais pas ta sainte nitouche, répliqua Nox d’un ton narquois. Tu as du sang de croque-mitaine, toi aussi. Tu souffrirais beaucoup moins de la faim, si tu n’avais pas scellé ton héritage au grenier.
Mordigann se contenta d’hausser les épaules. Emprisonnés dans sa chambre, au dernier étage, ses pouvoirs de croque-mitaine faisaient tenir la maison. Sa faim permanente lui venait de son ogresse de mère. Nox n’était que son demi-frère, ils ne partageaient pas la même nature. La femme qui l’avait mis au monde était…
Eh bien, à vrai dire, Nox ne devait pas savoir lui-même si sa propre mère était un croque-mitaine, ou bien quelque chose de différent.
¬– Et qu’est-ce que je suis censé faire de ça ? demanda Mordigann en feuilletant le petit dossier.
Nox ricana, glissant les doigts dans les cheveux de Flocon, qui se mit à ronronner comme un gros chat satisfait.
– Etudier ma candidature ?
Mordigann plissa les yeux. Quelque chose clochait. Nox déployait beaucoup trop d’effort pour que son séjour s’éternise.
Il se rappela de la conversation qu’il avait eue avec les autres, sous les combles. Aujourd’hui encore, il restait convaincu qu’il y avait quelque chose dehors qui effrayait Nox. Quelque chose qui l’avait incité à venir se réfugier ici et à y rester le plus longtemps possible. Quelque chose de pire que lui ?
Assez, en tout cas, pour qu’il feigne de se sentir bien ici, lui qui avait toujours détesté cet endroit.
Mordigann referma le document et observa un moment son demi-frère.
Ils ne se ressemblaient pas. Nox mettait un point d’honneur à toujours afficher ses abdominaux parfaits, alors qu’Orcus ne supportait pas de sortir sans une chemise repassée et un veston de bonne qualité. L’un avait les cheveux aussi long et noir que ceux de l’autre étaient brun et courts. Nox faisait passer son propre intérêt avant tout ; pour son frère, c’était la maison qui primait.
Mordigann observa Flocon, qui ne lui accordait pourtant pas la moindre attention. Il n’avait pas cillé une seule seconde, quand il avait décidé d’acheter la fée pour l’offrir en tribu à son frère. Depuis le début, ses projets pour la lui avaient été très clairs.
Pourtant, il n’avait pas fait tout cela sans garanties. Et même s’il était persuadé que Flocon était assez débrouillard pour ne pas se faire dévorer tout de suite, Nox restait un croque-mitaine. Il y avait bien quelques petites choses à faire pour restreindre ses ardeurs.
– Très bien. Mais je compte sur vous pour ne pas faire de bêtises.
Il leur tourna le dos, sans se soucier du fait qu’ils puissent tenter de lui tirer la langue pendant qu’il ne les regardait pas.
Driss s’était vautré au milieu d’un vaste pouf coloré, étendu aux côtés d’Inari. Contrairement à Flocon et Nox qui avaient abrité leurs peaux claires à l’ombre des arbres, ils s’étaient au contraire installés en plein soleil, au milieu de l’herbe tendre et des fleurs.
– Driss, je pourrais te parler une minute ?
L’intéressé redressa la tête, et remarqua aussitôt le dossier noir que tenait Mordigann. Il haussa un sourcil circonspect.
– Non, cela ne te concerne pas, répondit Mordigann en glissant le document sous son bras. C’est à propos du golem. Il m’attend au bureau, pour signer son contrat, mais je préfèrerai que tu y assistes.
Driss avait achevé de modeler la créature et de lui donner une identité propre. Même s’il ne l’avait pas créé physiquement, il avait participé à sa construction.
– Bien sûr. J’arrive.
Le golem les attendait sagement sur un fauteuil de cuir, habillé d’un caftan très sage, les mains posées sur ses genoux serrés. Il avait passé les derniers jours en compagnie de Driss et Inari, pour apprendre tout ce qu’il devait connaître de sa nouvelle vie. C’était étonnant de constater qu’il n’était pas encore plus corrompu que cela par l’influence de ses deux nourrices.
– Bien, dit Mordigann en prenant place derrière son bureau. Driss, tu lui as bien lu son contrat ?
– Mieux que ça, je lui ai appris à lire tout seul, répondit l’intéressé en s’affalant dans un nuage de fumée noire.
Le golem, de toute sa masse de muscles épais, se mit à rougir jusqu’aux oreilles. Il avait l’air de ne pas oser les regarder dans les yeux.
–Parfait. Mais avant toute chose, je crois qu’il faudrait qu’on te trouve un nom.
Il déposa dans un coin le dossier noir que lui avait confié Nox, et sortit à la place un document vierge qu’il commença à remplir. Face à lui, le golem eut l’air embarrassé.
– Un nom… ?
– Oui. Ça devient gênant de ne pas savoir comment t’appeler. Qu’est-ce que tu penses de Gilgamesh ?
Driss se redressa aussitôt sur son fauteuil de brume noire, les sourcils froncés.
– Je pense qu’il devrait d’abord y réfléchir un peu, et choisir seul comment il a envie d’être baptisé. On ne choisit pas ce genre de choses à la légère.
Il affronta Mordigann du regard pendant quelques secondes, mais ce dernier ne voyait pas l’intérêt de se brouiller pour quelque chose d’aussi futile. Il haussa plutôt les épaules.
– Bien. Alors tant pis, nous verrons cela plus tard.
Il fit pivoter vers le golem la feuille à l’écriture noire et aux lettres serrées. L’intéressé se pencha sur le bureau, toujours aussi perplexe.
– Dans un premier temps, tu ne seras pas considéré comme un vrai pensionnaire. Tu n’auras pas à rencontrer seul des clients, et les prestations sexuelles ne sont pas inclues. Nous verrons cela plus tard, si tu en as envie.
C’était le contrat qu’il réservait habituellement aux nouveaux venus, ou à ceux qui n’étaient pas encore vraiment sûrs de leur position ici. Laè en était toujours resté à cet accord-là, sans jamais le modifier. Tandis que pour Flocon, cela lui avait paru superflu de lui proposer quelque chose d’aussi édulcoré.
Même s’il ne doutait pas qu’avec l’influence conjuguée de Driss et Inari, cette pauvre créature allait vite prendre goût à certaines distractions.
– Ça me convient, acquiesça le golem.
Il paraissait soudain un peu plus sûr de lui. Mordigann le scruta un instant, avant de lui tendre son stylo à plume.
– Alors si tu n’as pas d’autres questions, tu peux signer ici.
Le golem observa un moment le bas de la page, la main levée, comme s’il hésitait encore. Puis il dessina une petite silhouette humanoïde en bas du document, avant d’apposer son doigt juste à côté. Une empreinte argileuse resta imprégnée sur la feuille.
Mordigann récupéra le contrat pour le ranger avec soin.
– Parfait. Tu seras installé dans l’ancienne chambre de Purr. Il a proposé de te laisser ses meubles, s’ils te font envie. Tu devrais aller le voir pour en discuter.
Surpris, le golem hocha la tête et déplia son grand corps pour se redresser. Mais avant de quitter la pièce, il se tourna vers eux, et s’inclina avec gratitude.
– Merci encore pour tout ce que vous faites pour moi. Je ne l’oublierai pas.
Sitôt que la porte se fut refermée derrière lui, Driss poussa un soupir énamouré.
– Je me demande si Nox réalise le cadeau qu’il nous a fait en nous l’envoyant ici.
Mordigann ne répondit pas. Probablement que non, mais il se garderait bien d’en faire part à son frère, au cas où celui-ci puisse tourner la situation à son avantage. Il faudrait peut-être un peu de temps avant que ce golem ne devienne un pensionnaire digne de ce nom, mais au moins, l’effectif de la maison ne serait pas complétement déficitaire.
– C’était plus rapide que prévu. Merci de t’être déplacé, dit-il simplement à l’attention de Driss.
Ce dernier se redressa pour s’étirer de toute sa hauteur. Quand il abaissa les bras, ce fut pour poser sur son patron un regard beaucoup plus sérieux que ne l’indiquait sa posture.
– Est-ce que tu aurais vraiment donné Flocon à ton frère, si tout s’était passé comme tu l’avais prévu ?
Mordigann rangea soigneusement son stylo plume, sans même accorder un regard à son pensionnaire.
– Bien sûr que non. J’avais prévu une roue de secours. Seulement, vous vous êtes tous acharnés à essayer de me contrecarrer.
Un sourire au coin des lèvres, Driss poussa un petit son amusé.
– Et est-ce que, par le plus grand des hasards, tu ne pourrais pas utiliser cette roue de secours pour que ton cher frère nous quitte plus vite que prévu ?
La main de Mordigann se suspendit en plein geste, et il redressa lentement le menton, les sourcils froncés. Comment Driss faisait-il pour toujours tout deviner ? Ce n’était pas que de la perspicacité. Il y avait forcément autre chose. Il scruta longuement son vis-à-vis, un rien méfiant.
– Ne me regarde pas comme ça, se défendit ce dernier. C’est ce qu’a dit Elendil qui m’a mis la puce à l’oreille. L’autre jour, dans le grenier. Quand on avait parlé du problème.
Mordigann resta pensif. Elendil lui-même n’avait pas dû réaliser ce qu’il avait laissé échapper, mais il se demandait si quelqu’un d’autre avait pu relever l’information.
Non. Bien sûr que non. Driss était le seul à pouvoir saisir aussi vite les moindres indices qui passaient à sa portée.
– Disons que j’ai réfléchi à cette éventualité. Mais je n’ai pas encore eu l’occasion de m’en servir.
Driss inclina la tête, avec l’air ennuyé d’une personne qui pesait soigneusement ses mots avant de parler, pour ne pas commettre d’impair.
– Et tu ne penses pas que le moment est venu ? Ça fait déjà une semaine. Il va faire partie des meubles, si ça continue.
Mordigann ne répondit pas. En vérité, il était allé voir Nox précisément pour lui laisser l’opportunité de s’en aller avant de devoir en arriver à de telles extrémités.
Tant pis pour lui. Driss avait raison. Il ne pouvait pas laisser la situation s’éterniser encore.
– Laisse-moi deux ou trois jours.
Driss hocha lentement la tête. Alors qu’il se redressait, quelqu’un frappa des coups légers à la porte.
Sans attendre de réponses, Elendil entra, et se figea sur le seuil.
– Oh. Pardon, je pensais que vous aviez fini.
– Je m’en allais, répondit Driss. Je vais aller aider le golem à emménager… et à y voir un peu plus clair pour se choisir un nom.
Mordigann ne pouvait qu’approuver. Il avait l’impression que les pensées de la créature étaient encore un peu trop confuses pour qu’il puisse se débrouiller seul dans sa nouvelle vie.
Une fois son camarade parti, Elendil resta debout devant la porte, et échangea un long regard avec Mordigann. Ce dernier fit glisser vers lui le dossier noir que lui avait confié Nox un peu plus tôt.
L’elfe sans saisit sans dire un mot, et le parcourut rapidement des yeux. Pour mieux relever la tête, avec l’air de quelqu’un qui venait de lire sa propre condamnation à mort.
– Non. Non. C’est hors de question. Jamais de la vie.
Mordigann se laissa aller en arrière dans son fauteuil, en poussant un soupir las.
– Nous sommes bien d’accord.
Elendil jeta le dossier sur le bureau comme s’il lui avait brûlé les doigts. Il en tremblait encore de dégoût, les épaules secouées par un soubresaut nerveux.
–Je trouve ça louche. Il ne s’est jamais intéressé aux affaires de la maison. Alors pourquoi maintenant, il voudrait en faire partie ?
Mordigann haussa les épaules, laissant l’elfe contourner le bureau pour venir à lui. Elendil s’installa en travers de ses cuisses, comme si de rien n’était. Il s’était apprêté avec élégance et paré de bijoux, les cheveux coiffés hauts sur sa nuque, comme à son habitude.
– Ça confirme ce que l’on pensait. Il essaye d’éviter quelque chose et il pense qu’ici, il est à l’abri.
– En gros, il se planque, conclut Elendil en fronçant le nez.
Il ajusta l’air de rien le col de la chemise de son patron, avant de poser les mains sur ses épaules. Son corps était agréablement souple et chaud, au-dessus du sien, si bien que Mordigann l’attira un peu plus près de son torse.
– Cela dit, nous allons bientôt manquer de pensionnaires.
Elendil eut une moue songeuse, le regard dans le vague.
– Tu as relancé ceux que tu avais contactés ? Sinon, tu peux toujours aller faire un tour au marché noir...
– Non, répondit aussitôt Mordigann. C’est beaucoup trop rare de tomber sur des obsédés cupides comme vous.
L’elfe étira aussitôt un sourire ravi, et se pencha pour frôler les lèvres de son patron. Ses yeux pétillaient subitement d’un éclat nouveau. Il se serait certainement mis à ronronner s’il était capable de le faire.
– C’est vrai. Et je suis le pire de tous.
Ils s’embrassèrent avec délectation, un baiser aussi long que suave, qui enivra Mordigann et réveilla la faim qui jusqu’à présent, se tenait sage. Il commençait déjà à faufiler ses doigts sur la ceinture d’Elendil pour pouvoir la défaire et caresser sa peau nue. L’elfe ne fit pas un seul geste pour l’arrêter. Au contraire, il fit mine de happer sa lèvre inférieure pour la mordiller, comme une provocation.
– Mais qu’est-ce que tu vas faire alors ? Accepter Nox ?
Mordigann grogna, et empoigna à pleine mains la taille souple de son amant.
– Non, sûrement pas. Je vais essayer de retrouver l’un des candidats qui était censé venir avant que je trouve Flocon. J’espère qu’il va venir, cette fois.
Et il allait aussi s’occuper du cas de son frère.
Mais pas tout de suite. Il avait d’abord quelque chose de plus urgent à accomplir.
Les yeux d’Elendil étaient posés sur lui, déjà troublés par une étincelle de désir qu’il connaissait bien. Mordigann se rappelait encore de leur première rencontre. De cette matinée morne et humide, dans une ville plongée sous la grisaille. De la silhouette bien trop maigre au bord du trottoir qui attendait sous un lampadaire éteint. Un grand corps enveloppé dans un grand manteau noir, d’où n’émergeait qu’un visage maigre aux longs cheveux pâles. Comme une tâche claire dans toute ce monde terne.
Lunaire. Sans artifice. Pas d’autres bijoux que son regard intense.
Elendil s’était vendu avec lui avec l’espoir inavoué qu’il le dévorerait. C’était bien son intention, à l’époque. Apaiser la faim qui lui tiraillait le ventre. C’était pour ça qu’il l’avait abordé.
Il n’avait fallu qu’un instant pour que l’envie de chair fraîche ne se change en un besoin beaucoup plus difficile à contenter. Mordigann n’avait pourtant aucune idée, à l’époque, que cette silhouette malingre rencontrée sous un ciel noir pourrait se transformer en une telle créature. Une créature qui lui appartenait, corps et âme.
Elendil lui caressa la joue, un éclat de malice pétillant dans ses yeux.
Mordigann le renversa sur son bureau avec la ferme intention de lui faire longuement l’amour. Et de consacrer à cela une bonne partie des jours qui allaient suivre.

La situation perdura encore quelque temps, et l’ambiance dans la maison devint vite électrique. Tout le monde évitait soigneusement Nox et Flocon, qui ne se cachaient pas pour afficher leur écœurante complicité. Les autres pensionnaires déployaient alors des trésors d’imagination pour ne pas tomber sur eux, même quand ils décidaient d’aller s’installer dans le jardin. Ou pire, dans le grand salon.
Personne n’osait se plaindre à voix haute, et les regards noirs jetés aux deux concernés ne les affectaient pas le moins du monde ; personne d’autre ne semblait exister en dehors de leur bulle de perversion malsaine. Parfois, pourtant, ils allaient s’enfermer dans la chambre de Flocon, et ces longues heures d’isolement étaient les seuls instants de répits de la maison.
Ce ne fut qu’au bout de quatre jours que la décision de Mordigann porta ses fruits.
L’après-midi avait commencé sans que rien ne change. Quelques clients avaient bravé la menace et l’aura malfaisante qui imprégnait les murs depuis l’arrivée de Nox. Ce dernier s’était installé à l’extérieur, sur une grande méridienne placée à l’ombre d’un arbre, pour une sieste réparatrice en compagnie de Flocon.
L’attaque fut aussi subite que l’intrusion. Les mécanismes de défense de la maison ne s’étaient pas déclenchés ; ils n’auraient pas eu le temps de le faire, même si Mordigann ne les avait pas désactivés.
Malgré son rôle de gardien de la maison, Driss eut la présence d’esprit de ne pas intervenir. Il sentit tout de suite que cette créature-là était bien trop puissante pour lui et fit plutôt de son mieux pour contenir la formidable chape de froid qui recouvrit soudain la maison.
Nox n’eut même pas le temps de brandir ses tentacules pour se protéger de la vague de glace qui s’abattit sur lui. D’énormes pointes glacées surgirent tout autour de lui pour le transpercer. Il bondit en arrière, renversant précipitamment son siège, juste à temps pour s’échapper. Il ne vit pas Flocon s’envoler à tire d’aile, ne put qu’essayer de s’enfuir avant que la glace ne se referme sur lui et n’emprisonne solidement ses membres.
– Toi !
Nox, les yeux écarquillés, vit s’avancer vers lui une chevelure indigo qu’il ne connaissait que trop bien.
Elle n’appartenait pas à Flocon. Elle surmontait le port de tête altier d’un homme aussi grand que massif, qui avançait vers lui d’un pas furibond au milieu de ce chaos glacé.
Drapé de vêtements faits de givre et de feuilles, la barbe taillée avec soin et garnie de fleurs sauvages, le roi des fées des neiges se dressait devant lui.
Et il avait l’air furieux.
– Tu pensais pouvoir t’en prendre impunément à l’un de mes enfants ?!
Cerné de stalactites acérées, Nox voulut protester mais sitôt qu’il ouvrit la bouche, les pointes de glace se rapprochèrent dangereusement de lui pour l’inciter à garder le silence. Alors il referma vivement la mâchoire.
Le jardin n’était plus qu’un immense cratère recouvert de givre. Le froid avait enveloppé la maison et les oiseaux s’étaient envolés précipitamment, désertant les lieux pour se mettre à l’abri.
– Si tu lui as fait le moindre mal… !
Le roi des fées ne termina pas sa phrase. Flocon, redevenu aussi petit qu’un moineau, voleta furieusement devant lui pour s’interposer devant Nox. Son père, d’abord surpris, fronça les sourcils et le menaça de l’index.
– Ah, toi, tu n’as pas ton mot à dire. Est-ce que tu sais depuis combien de temps je te cherche ? Tu aurais pu me faire savoir que tu étais ici, et en sécurité !
Flocon croisa les bras, battant hardiment des ailes. Il ne semblait pas effrayé le moins du monde par la menace que représentait le roi. Il n’était plus depuis longtemps un adolescent à qui l’on pouvait dicter sa conduite.
– Et tu trouves en plus le moyen de te jeter dans les bras d’un croque-mitaine ? Tu me déçois, jeune homme ! Je pensais que tu avais de meilleurs goûts que cela !
Le roi gronda de sa voix caverneuse. Ses cheveux aux multiples reflets violets étaient noués en un chignon épais par une délicate branche d’arbre. Il ressemblait à une version mature et masculine de Flocon, tout ce que ce dernier ne serait probablement jamais.
– Maintenant, écarte-toi, que je règle son compte à cet infâme…
– Altesse ?
Le roi des fées s’interrompit de nouveau, et se retourna pour foudroyer du regard l’imprudent qui avait osé lui couper la parole.
Pourtant, son courroux s’apaisa dès l’instant où il posa ses yeux de glaces sur la silhouette qui s’était glissée dans son dos.
– Ça alors. Laè ?!
L’air tout aussi étonné, le Selkie rangea son glaive dans son fourreau. Il était visiblement le seul à avoir osé braver le danger pour venir défendre la maison. Il portait une longue tunique de laine et de fourrure, et des bottes de cuir souple. Quelques tresses parsemaient ses longs cheveux sombres. Comme un vrai homme du nord, qui s’inclina avec respect devant le roi des fées. Ce dernier l’incita à se redresser, le ton bien plus doux.
– Je savais que tu avais trouvé refuge ici, mais j’avais entendu dire que tu voulais quitter la maison.
– Dans quelques jours, répondit Laè d’un ton calme. Mais… et vous ? Que faites-vous ici ?
Le souverain resta silencieux quelques secondes. Malgré son corps puissant et sa barbe indigo, sa tenue faite de plante et de givre lui conférait une apparence aussi royale qu’éthérée.
– Des contrebandiers sont venus sur mes terres. Ils ont tenté d’enlever plusieurs de mes enfants. Cela fait des semaines que je tente de tous les retrouver… celui-ci était le dernier.
Il désigna Flocon d’un vague geste de la main. Ce dernier les fixait toujours de ses yeux minuscules, les bras croisés sur son torse, agitant tout autour de lui une pluie de paillettes brillantes.
Laè cligna des yeux.
– Je pensais que vous étiez au courant. Flocon devait vous avertir qu’il avait été sauvé du marché noir.
L’intéressé fit soudain mine de regarder ailleurs, pour fuir le coup d’œil accusateur de son père.
– Effectivement. Et si votre patron ne m’avait pas prévenu il y a quelques jours, je serais toujours en train de le chercher à travers le monde magique.
En apprenant la trahison de son frère, Nox poussa une exclamation étranglée, mais se garda bien de dire quoi que ce soit d’autre, cerné de toute part par des lames gelées.

Une fois le courroux du roi apaisé, il ne fallut pas longtemps pour que l’épaisse couche de glace ne fonde, sans laisser la moindre flaque de boue au milieu des jardins. Attablé au soleil, sur la pelouse intacte, le souverain s’entretint longuement avec Laè tout en dégustant du thé chaud, porté par un Purr aussi nerveux qu’inquiet.
Le selkie, lui, affichait un calme à toute épreuve. Depuis qu’il avait pris la décision de partir et fait la paix avec lui-même, il n’était plus aussi irritable qu’il l’avait pu l’être, à force de déprimer dans la maison.
Nox resta prisonnier dans sa gangue de glace tout le long de la conversation, isolé dans le fond du jardin, là où il ne pouvait déranger personne. Flocon, quant à lui, était parti bouder dans un coin.
Le roi reposa doucement sa tasse de thé sur la table de fer forgé. Purr venait de repartir, après leur avoir déposé une nouvelle fournée de biscuits.
– Tu sais qu’une fois que tu auras retrouvé ta peau, il ne pourra pas te suivre dans l’océan ?
Laè ne devait pas s’attendre à une question pareille. Pourtant, il ne cilla pas, le regard déterminé.
– Je n’irais nulle part sans Purr. On trouvera un moyen.
Quelque chose dans le ton de sa voix laissait même à penser que ce serait la première chose qu’il ferait, une fois parti d’ici. Bien avant de se relancer vraiment à la recherche de sa peau de selkie.
Le roi des fées esquissa un sourire, avant de grignoter un biscuit. Il les piochait du bout des doigts pour les manger petit à petit, mais c’était déjà le troisième plateau qu’il engloutissait.
–Tu l’aurais sûrement retrouvée bien plus vite si tu avais fait appel aux gens du nord. Pourquoi n’as-tu pas demandé notre aide ?
Laè soupira doucement. Il en avait conscience, mais dans le monde magique, il était dangereux d’avoir des dettes envers quelqu’un. Mieux valait se débrouiller seul.
– C’est trop risqué. Ma peau est probablement en possession de quelqu’un qui ignore tout de sa nature. Si quelqu’un de mal intentionné mettait la main dessus…
Il préférait l’imaginer sur les étagères d’une friperie, ou bien transformée en manteau ou en descente de lit. Peut-être même en tapis. Quiconque possédait sa peau devenait son maître. S’il impliquait d’autres personnes dans ses recherches, il prenait le risque de se faire doubler et d’être réduit en esclavage.
Purr était le seul à qui il voulait bien faire confiance pour se lancer dans une telle quête.
– Alors laisse-moi t’aider, dit doucement le roi des fées. En remerciement pour ce que tu as fait pour mon enfant.
Laè resta songeur quelques secondes. Cet argument-là pouvait le convaincre. Avec la puissance des fées des neiges, et l’odorat de Purr…
– J’accepterai avec gratitude, altesse. Mais je ne serais plus là pour veiller sur Flocon…
Ils jetèrent tous les deux un bref regard en direction de Nox, loin, très loin au fond du jardin, à l’ombre d’un bosquet.
Après une longue conversation, Laè avait fini par dissuader le roi de transformer le croque-mitaine en sorbet. Les différents contrats qui liaient Flocon à la maison et à son nouveau propriétaire ne pouvaient être contournés. Telles étaient les règles du monde magique. Alors mieux vallait trouver un terrain d’entente.
– Eh bien, à ce propos, j’ai déjà…
Le souverain s’interrompit. Mordigann venait de pousser la porte-fenêtre pour sortir de la maison, rajustant le col de sa chemise d’un geste distrait. Laè fronça les sourcils. Il s’était demandé où le patron avait pu se terrer pendant tout ce temps… il s’était visiblement posé la mauvaise question. Ce n’était pas « où », mais « avec qui ». Il avait l’impression que ces derniers jours, Mordigann avait passé énormément de temps enfermé dans son bureau en compagnie d’Elendil.
– Bonjour, majesté. Pardonnez mon retard. Je n’attendais pas votre visite aussi tôt aujourd’hui.
Le roi des fées se redressa avec un sourire ravi, pour saluer le patron d’une grande accolade.
– Ah, Mordigann ! Vous tombez bien, je souhaitais vous parler. Mais avant…
Il fit un geste de la main, et la prison de pointes de glace qui retenait Nox captif s’évapora en un instant. Ce dernier retomba lourdement par terre, claquant des dents dans ses vêtements trempés. Ses tentacules affolés surgirent de l’ombre pour l’aider à se redresser. Les lèvres bleues, et l’air transi de froid, il n’avait jamais eu l’air aussi peu menaçant. Cela parut satisfaire le roi des fées. Qui n’en avait pourtant pas fini avec lui.
– Il faut que je prenne quelques garanties pour le bien-être de mon enfant. Si je ne peux pas le soustraire à cette vermine, je peux au moins m’assurer qu’il ne coure aucun danger.
Il souleva d’un geste ample son grand manteau de fleurs et de feuilles. Quelque chose en tomba, sorti comme par magie de la manche du vêtement.
Un jeune homme, à l’air hagard, qui s’agenouilla dans l’herbe en clignant des yeux.
Ses cheveux avaient la couleur du ciel au soleil levant. Une corne de nacre perçait son front.
– J’ai trouvé cette jeune personne sur le chemin de la maison. Lui aussi, il cherchait quelqu’un. Un certain Nox ?
Sous l’œil incrédule de Laè et Mordigann, la licorne à forme humaine se redressa en tanguant sur ses deux jambes. Puis les fixa d’un air perplexe, avant de jeter une œillade contrariée au roi des fées.
– Mais puisque je vous dis que je ne veux pas y aller ! Je n’irai pas à Fancy Candies tant que je ne l’aurais pas retrouvé !
La licorne semblait faire comme s’ils n’étaient pas là, continuant de vitupérer contre le roi des fées, qui le toisait pourtant avec bienveillance.
– Ça alors, souffla Mordigann. Je croyais qu’il avait changé d’avis.
Laè jeta un bref coup d’œil à son patron.
– Tu le connais ?
– Il s’appelle Radiance Dawn. Je l’avais embauché il y a quelques semaines, mais il n’a plus jamais donné de nouvelles.
Le jeune homme poussa un cri strident qui les fit sursauter.
– Nox ! Tu es là !
À l’autre bout du jardin, l’intéressé se figea. Il mit un long moment avant de relever lentement la tête vers eux. Il aperçut alors Laè, Mordigann, et le nouveau venu qui courrait déjà vers lui à toute vitesse.
Le visage du croque-mitaine changea soudain de couleur. De bleu, il passa à vert, puis jaune, puis blanc, mais un blanc maladif qui n’avait rien à voir avec son teint pâle naturel.
Nox resta immobile quelques instants, comme figé par la peur.
Puis détala aussi vite que possible, en poussant un son terrifié. La licorne le poursuivit sans se décourager, le harcelant de ses cris pour tenter de le faire revenir.
– Je comprends mieux, susurra Mordigann d’un ton doucereux. C’est ça qu’il fuyait.
Le roi des fées acquiesça d’un signe de tête. Un sourire réjouit flottait sur son visage.
– Cette jeune créature avait juré qu’elle ne viendrait pas ici tant qu’elle n’aurait pas retrouvé « l’amour de sa vie ».
Loin de partager la satisfaction muette de son patron et de leur hôte, Laè observait la scène en fronçant les sourcils. Nox courrait comme s’il était poursuivi par son pire cauchemar, cauchemar qui avait la forme d’un splendide jeune homme à la crinière d’aube et aux yeux énamourés.
– Orcus ! Aide-moi ! Pitié, retient-le !
Les trois spectateurs, plantés devant la porte de la maison, ne bougèrent pas le moindre cil.
– C’est pour ça qu’il est venu se planquer ici ? demanda Laè. Pour fuir une licorne ?
– Une licorne amoureuse, crut bon de préciser le roi des fées. Ses pouvoirs sont terribles. Capable de repousser les forces du mal, aussi ténébreuses soient-elles.
Laè ne dit rien, mais n’en pensait pas moins. Il n’aimait pas ça. Certes, le spectacle avait quelque chose de jouissif, il devait le reconnaitre ; mais il avait comme un mauvais pressentiment à propos de tout ça. Il eut soudain la conviction qu’il était plus que temps que Purr et lui ne s’en aillent. Avant que la situation ne dégénère.
Il n’avait pas fini de formuler cette pensée qu’une boule de paillettes et de fureur fusa entre eux, fonçant vers Nox et de son soupirant. Flocon, échevelé, reprit sa taille normale pour se jeter sur la licorne et la plaquer dans l’herbe en lui tirant les cheveux.
– Mes enfants sont d’un naturel jaloux, soupira son père tendresse.

Nox fit claquer la porte du placard et la barricada aussitôt avec tout ce qu’il lui tombait sous la main. Seau, étagères et balais, il empila le tout pour bloquer la porte et ralentir l’arrivée de quiconque tenterait d’entrer. Ce ne fut qu’une fois cela fit qu’il prit temps de reculer pour reprendre son souffle.
Il lui fallut un temps supplémentaire pour réaliser qu’il n’était pas seul dans le minuscule cagibi. Sous la petite ampoule vacillante, un Elendil échevelé recomptait une liasse de billets, comme si de rien n’était.
Nox se redressa lentement, méfiant. Son cœur tambourinait toujours dans sa poitrine, menaçant de lui briser quelques côtes. Il avait profité de l’affrontement entre Dawn et Flocon pour prendre la fuite et se terrer le plus profondément possible dans la maison. Pas encore assez loin, visiblement.
– Qu’est-ce que tu fiches ici ?
Loin d’être inquiété par son ton acerbe, Elendil ne lui adressa pas le moindre coup d’œil.
– La même chose que toi, on dirait ? Je me cache pour être tranquille.
L’air satisfait, il plia soigneusement ses billets avant de les ranger dans la poche intérieure de son veston. Sa tiare était de travers sur son front et ses vêtements étaient froissés. Nox huma l’air, reniflant le parfum de poussière et de bois vernis qui embaumait le placard, avant de plisser les yeux. Il y avait une autre odeur, qui lui était terriblement familière.
– Tu viens de t’envoyer en l’air avec Orcus ?
Le sourire entendu de l’elfe confirma ses soupçons. Voilà qui expliquait pourquoi son frère avait mis du temps à venir à la rencontre du roi des fées.
Nox poussa un sifflement acerbe. Il n’aimait pas cet air suffisant sur le visage de l’elfe, et lui adressa un sourire carnassier.
– Tu devrais te méfier. Un jour, il va te remplacer.
Elendil le toisa avec un ennui visible. Il sortit un miroir rouillé du bric-à-brac entassé sur les étagères encore intactes du placard, et retira l’ornement qui maintenait sa queue de cheval en place pour se recoiffer avec soin.
– Je sais, soupira l’elfe. Il a besoin d’aller voir ailleurs, de temps en temps. Mais je lui pardonne. Moi aussi, je suis comme ça »
Nox ricana, croisant les bras pour le regarder faire.
– Quand on était petit, il avait déjà un faible pour les petites choses malheureuses qui trainaient dans la rue…
Elendil se redressa brusquement, pour lui jeter un regard noir.
– Tu me prends pour une bestiole abandonnée ?
Nox le toisa de toutes ses dents, le regard pétillant. Il avait repris tout son aplomb et son sarcasme, pour pousser Elendil derrière ses retranchements. Redevenir le prédateur qui acculait ses victimes, et pas la proie pourchassée par quelque chose qui le dépassait.
Mais cela n’eut pas l’air d’affecter l’elfe. Pas une seule seconde. Il arrangea sa coiffure sur le haut de son crâne, avec un air satisfait.
– Tu devrais relire tes classiques, Nox.
Elendil se retourna pour se planter devant lui. L’espace était si exigu qu’ils se touchaient presque. Ils faisaient la même taille, s’affrontant à hauteur d’yeux, aussi inflexibles l’un que l’autre. Et puis l’elfe attrapa doucement son visage en coupe. Nox fut si surpris qu’il eut le réflexe de reculer, faisant trembler l’amplement d’objets qu’il avait entassé derrière lui. Tout s’écroula dans un bruit sourd, libérant le passage. L’elfe planta son regard dans le sien, un sourire compatissant sur les lèvres.
– Dans toutes les histoires d’ogres, il y a une ogresse.
Elendil se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur son front.
– Et toi, tu en as trouvé deux. Bon courage, Nox.




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