dimanche 5 février 2017

Épilogue - refermer la boite

Une bonne odeur de pain grillée suivait Bernabé tandis qu’il poussait devant lui le chariot du petit déjeuner. Dans le grand salon rouge, les autres pensionnaires commençaient déjà à prendre place. Aello inspira à plein poumon, tirant une chaise pour s’attabler. Inari somnolait encore, à moitié avachi sur l’épaule du golem qui le soutenait tant bien que mal. Driss leur tendit à chacun une généreuse tasse de café fumant.
Le soleil matinal brillait à travers les carreaux des fenêtres. Il n’y avait pas de moment plus agréable pour prendre son petit déjeuner, et Lotis les rejoint bientôt, encore ensommeillé. Cela faisait désormais plusieurs semaines qu’ils avaient pris l’habitude de prendre leur premier repas tous ensemble, dans le confort douillet du salon rouge. Plus tard, la pièce serait remise en ordre pour qu’ils puissent y attendre les premiers clients. Mais en attendant, ils prenaient des forces, et savouraient ce moment de calme et de convivialité.
On entendait à peine le vacarme qui résonnait au loin. Les portes qui claquaient, les éclats de voix et le bruit sourd des objets jetés contre les murs. Cela couvrait à peine le chant des oiseaux. Aello se surpris à soupirer de béatitude, un chocolat chaud à la main.
– C’est drôle, mais je crois que je m’y suis habitué. Ça me manquerait de ne plus être réveillé par ce boucan.
– Moi aussi, admis Bernabé avec une grimace. Et puis, du coup, on se lève tous à la même heure. Shamash, s’il te plait, tu pourrais me passer la confiture ?
Le golem s’exécuta en retenant un bâillement, tandis que les autres acquiesçaient avec plus ou moins d’entrain.
Driss suspendit soudain sa tasse dans les airs, étirant un sourire narquois.
­– Tiens, le roi Elendil est tombé du lit ?
L’intéressé, qui venait d’ouvrir la porte du salon, se contenta de lui jeter un regard ensommeillé. Emmitouflé dans un peignoir bordeaux, il avait les traits tirés et les cheveux emmêlés. Une image rare, qui pourtant ne choqua personne. Compatissant, Aello lui tendit une tasse de café que l’elfe accepta avec gratitude. Il en avala une longue gorgée, sans même prendre la peine de s’asseoir.
– Qu’est-ce que font ces trois idiots, ce matin ? dit-il finalement de sa voix enrouée par le sommeil.
Les autres haussèrent les épaules. Lotis, occupé à beurrer une tartine de pain pour la recouvrir de poisson grillé, leva brièvement la tête.
– Je crois que Dawn a accusé Flocon de lui avoir volé un client.
Elendil fit la moue. Cela ne serait jamais que la troisième fois, cette semaine. Il sirota une autre gorgée de café.
– Et Nox ?
– Encore avec son rendez-vous d’hier soir, répondit Driss d’un ton narquois.
Cette fois, l’elfe frissonna. Il n’avait pas envie d’en savoir plus. Quelqu’un devrait probablement passer voir si tout allait bien, un peu plus tard, mais les clients qui optaient pour la compagnie du croque-mitaine le faisaient à leurs risques et péril. Mordigann n’acceptait pas de laisser rencontrer n’importe qui. Et il leur faisait toujours signer une décharge.
Elendil s’appuya d’une main au dossier d’une chaise pour finir sa tasse de café, puis s’en resservir. Un domestique entra en flottant au-dessus de la pièce, pour tendre du courrier à Aello.
Intrigué, ce dernier fixa l’adresse sur l’enveloppe avant de la retourner, ouvrant de grands yeux ravis.
– Oh ! C’est une carte de Purr et Laè !
Un regain d’enthousiasme traversa la table et la harpie s’empressa d’ouvrir la lettre à la pointe de son couteau. Un flot d’eau salée coula dans son assiette, accompagné de sable doré et de quelques coquillages. Aello sortit avec précaution une carte postale intacte, chassant un petit crabe encore accroché par la pince au papier cartonné. Lotis le recueillit dans ses mains, pour le glisser dans ses cheveux.
– Ils sont arrivés dans la famille de Laè, commença Aello en parcourant la missive des yeux. Ils comptent y rester encore quelques jours, le temps de faire visiter les fonds marins à Purr.
– On devrait leur dire de revenir passer une ou deux semaines ici, proposa Inari. Ça fait longtemps qu’on ne les a pas vu.
Les autres approuvèrent l’idée, et la carte postale passa de main en main, chacun voulant la lire de ses propres yeux. Laè n’avait jamais donné autant de nouvelles que depuis qu’il avait retrouvé sa peau. À croire que la maison lui manquait ? Il devait pourtant avoir fort à faire, avec son loup-garou. Cela ne devait pas être une mince affaire de parcourir le monde, en compagnie d’un mâle alpha aussi maladroit que Purr.
Un lointain choc sourd fit vibrer le plancher, sans que cela n’émeuve personne. Encore un ou deux impacts de ce genre, et Mordigann allait se réveiller pour aller séparer de force les deux apprenties diva et les renvoyer au travail. À moins que Nox ne se dévoue pour aller occuper l’un des deux. Flocon, sûrement. Après tous ces longs mois à le disputer âprement à la fée des neiges, il avait l’impression que Dawn commençait à perdre de son intérêt pour le croque-mitaine. Bien sûr, Elendil pouvait se tromper, mais son intuition l’avait rarement contredite, dans ce genre de domaines.
Orcus avait eu du nez, en devinant que Nox serait maté en un rien de temps par une créature de la trempe de Dawn et de Flocon. Une fausse petite chose innocente et candide, intérieurement corrompue par le vice. Le patron n’avait juste pas prévu qu’il réussirait à en trouver deux, ni qu’ils se retrouveraient en même temps dans la maison.
Elendil ne s’en faisait pas trop, cependant. Il restait le numéro un des pensionnaires. En matière de diva capricieuse, personne ne lui arrivait à l’orteil.
Il finit par prendre une chaise pour s’asseoir avec les autres. Les conversations allaient bon train et la table croulait sous les bonnes choses à manger. Il avait longtemps détesté ce genre d’effusions de convivialité. Mais étrangement, à cet instant, il se sentiat bien.
Il se rappelait encore de la première fois qu’il avait vu Fancy candies. Ce n’était alors qu’un vieux magasin de gâteaux et de bonbons, fermé depuis longtemps, avec un unique appartement à l’étage.
Mordigann l’avait ramené là-bas pour le dévorer. Seulement, pour une raison connue de lui seul, il ne l’avait pas fait et avait choisi de garder l’elfe à ses côtés.
Aujourd’hui, pour lui comme pour les autres, cet endroit était devenu sa maison.

Et même s’il avait parfois très, très envie de déménager, Elendil ne se voyait décidemment pas vivre ailleurs.



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